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        Comment comprendre les anciens éventails européens ?
How to read antique European Fans?

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Les amateurs d'éventails qui me font le plaisir -et l'honneur- de me suivre sur ce site ou dans mes diverses interventions savent que nous aimons "lire" les histoires que nous voyons (ou parfois que nous croyons voir !) sur les éventails. Comme dans les autres oeuvres ou objets d'art, celles-ci sont souvent liées, on le sait, à l'histoire ancienne gréco-romaine ou à l'histoire religieuse telle que présentée dans la Bible. La connaissance de ces histoires faisant de moins en moins partie des études secondaires courantes, il importe que toute personne voulant ouvrir un livre d'art, visiter un musée... ou regarder un éventail se mette à niveau : il existe pour cela, dans la plupart des langues (parlées en Europe ou dans les Amériques) d'excellents livres d'accès aisé.

Mais à côté de ces scènes historiques (ou en même temps !) il faut savoir faire une lecture allégorique des tableaux ou des estampes et donc des éventails qui en sont souvent inspirés. Là aussi, on trouve des ouvrages permettant de comprendre bon nombre de ces allégories. Le plus célèbre, et le plus facile à trouver, est l'Iconologia de Cesare Ripa (1555-1622), paru d'abord en 1593 mais dont on ne compte plus les éditions et traductions, qui a inspiré les artistes européens pendant des siècles.
On trouvera aisément sur les éventails les figures allégoriques les plus courantes, comme les Vertus, les Saisons, la Renommée,  la Justice...

Contentons-nous ici de montrer les Vertus et les Saisons sur des éventails des années 1780.

Vertus

Tout d'abord,  les Vertus : on reconnait aisément à gauche la Foi porteuse de la Croix et d'un livre (sacré) ; au centre la Charité, qui aime et nourrit ses enfants et à droite l'Espérance, dont l'ancre est l'attribut traditionnel.

Quant aux Saisons, la simple logique (encore que les bouleversements climatiques en cours vont peut-être la contredire !) permet de voir facilement, de gauche à droite sur l'éventail d'où nous les extrayons comme ci-dessous, l'automne, le printemps, l'été et l'hiver. Pourquoi ce changement dans le cours naturel des temps ? Nous l'ignorons ! Notons que souvent les saisons figurent sous la forme des divinités associées : Bacchus pour l'automne, Flore ou Vénus pour le printemps, Céres pour l'été et Borée ou Vulcain pour l'hiver.

Automne   Printemps  Eté  Hiver

Tous les amateurs d'éventails anciens savent aussi l'importance sur les éventails des symboles divers, en particulier ceux qui ont trait à l'Amour : colombes, flambeaux, flêches et carquois, et bien  sûr cages et oiseaux plus ou moins envolés, symboles de la virginité... plus ou moins perdue.

Oiseau

 A côté de ces allégories faciles à comprendre, c'est dans presque toute la peinture européenne (et donc sur les éventails) du XVIème au XVIIIème siècle qu'il faut chercher ces allégories. Certes, elles finissent parfois par devenir un procédé ayant perdu le message originel, avant d'être souvent recopiées au XIXème siècle d'une manière mécanique et décorative,  sans message à faire passer. Mais il faut bien savoir que pour la peinture d'histoire à l'époque de Louis XIV il n'y a guère de tableau qui ne puisse composer un véritable discours. Ce discours a parfois été rédigé par le commanditaire : ainsi de nombre de tableaux religieux, destinés à une église, une communauté, une confrérie précise, et s'intégrant dans une décoration d'ensemble hélas souvent disparue (incendies, pillages, refus des images par le protestantisme, vandalisme de la Révolution Française... et même parfois de curés catholiques post-conciliaires trop zélés). Les indications des commanditaires ou les explications des artistes ont souvent disparu. Elles avaient d'ailleurs peut-être été essentiellement verbales.

Il me semble donc intéressant de donner ici une illustration entièrement commentée par son auteur, le grand peintre Charles Le Brun, premier peintre du Roi Louis XIV. Ce dernier avait en effet demandé à  Isaac de Bensérade (1612-1691), l'un de ses poètes préférés, co-auteur de nombre des ballets si appréciés par le roi, de transcrire en poèmes, pour l'instruction du Dauphin, les Métamorphoses d'Ovide. Cet ouvrage somptueux et illustré par François Chauveau, l'un des meilleurs graveurs de l'époque, assisté de Sébastien Le Clerc et Jean Lepautre parut en 1676. Malgré l'extrême qualité des gravures -tout à fait utiles pour l'amateur d'éventails anciens voulant identifier une scène mythologique !- et de l'impression des textes, ce ne fut pas un succès : le type de poèmes retenu n'était plus à la mode. Il s'agit de poèmes de treize vers à rimes croisées, auxquels s'ajoutent au milieu et à la fin une reprise de la moitié du premier vers. A mon avis, le travail de Bensérade aurait mérité un meilleur accueil, car il résume fort bien nombre de fables, et non sans humour. Mais  il ne s'agit pas ici de ces poèmes, non plus que des gravures remarquables qui les illustrent, bien qu'elles soient pleines d'allégories, on s'en doute. 

Ce qui nous intéresse, c'est le frontispice de l'ouvrage que nous montrons ci-dessous.

Frontispice

En règle générale devant ce type d'illustration nous devons chercher à deviner les intentions de l'artiste. Mais ce qui était (peut-être !) compréhensible par le public cultivé en 1676 ne l'est généralement plus. Ici, nous avons la chance que Charles Le Brun ait expliqué en détail son dessein (et donc son dessin) dans une lettre à Isaac de Bensérade, que celui-ci a inséré en tête de l'ouvrage.  Voici cette lettre :

Le Brun 1Le Brun 2
 

Pour vous faciliter la lecture à la fois du texte et de l'allégorie, je reproduis ci-dessous celle-ci avec en regard le texte de Charles Le Brun avec une orthographe et quelques mots modernisés.

Allégorie
Lettre de M. Le Brun à M. de Benserade


Voici, Monsieur, une légère idée du frontispice de votre livre que je vous envoie pour en avoir votre sentiment avant de mettre le dessin au net.

Je représente au milieu de la feuille et au loin un palais magnifique, en haut duquel je peins le buste d'Ovide. Toute la façade de ce palais est enrichie de tableaux, bas-reliefs et statues, qui représentent plusieurs sujets des Métamorphoses. Devant ce palais, il y a un parterre rempli de plantes et de fleurs, et entouré de quantité d'arbres auxquels les héros de la Fable ont donné la vie. Autour de ces plantes et de ces arbres sont plusieurs Amours ou Génies, qui cueillent les fleurs et les gommes de ces mêmes plantes et de ces mêmes arbres. Sur le devant du dessin on voit une nymphe assise et appuyée sur un cube ou piédestal carré : cette nymphe est occupée à faire une guirlande de fleurs, que lui apportent les petits Amours qui l'environnent. Sur ce piédestal vous voyez un miroir convexe sur lequel est représentée en petit une partie des objets qui sont autour de lui. Sur ce même piédestal on peut mettre le titre du livre.

Je ne crois pas, Monsieur, que ce dessin ait grand besoin d'explication. Car je pense que vous comprenez bien que le buste d'Ovide que je mets au-dessus du palais est là pour montrer que c'est lui qui est l'auteur de cet édifice et de tous ses ornements ;
que la nymphe qui est assise est votre muse, qui compose par son génie une guirlande de tout ce qu'il y a de plus beau et de plus précieux, pour en former une couronne et pour la présenter au grand prince auquel vous offrez votre livre ; et que si je lui fais faire une guirlande plutôt qu'un bouquet, c'est parce que la guirlande a un rapport avec le rondeau, qui finit par où il commence.
Le miroir convexe est là pour marquer que vous avez renfermé dans un petit espace ce qu'il y avait de plus grand et de plus beau dans la fable.
Le cube qui sert à appuyer la muse figure aussi la solidité des moralités que vous avez renfermées dans votre ouvrage.

Je ne m'étendrai pas davantage sur cette description, de peur que vous ne m'accusiez d'un métier qui ne m'appartient pas, et je finirai en vous disant que personne n'est plus véritablement que moi etc.

Le Brun

Ce 1er novembre 1674.



Nous trouverons assez facilement sur nos éventails des personnages bien proches de ceux représentés par Charles Le Brun pour illustrer ces Métamorphoses d'Ovide en Rondeaux de Bensérade. Faudra-t-il leur donner exactement la même signification ? Sans doute pas ! Mais chacun prendra plaisir, j'en suis sûr, à rechercher le sens des images présentes sur les feuilles d'éventail, à les lire !


triomphe

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