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Un éventail d'après un premier peintre du Roi

Nous vous proposons ici d'examiner en détail un éventail, afin d'aller au delà de son apparence : prouesses techniques, correspondances artistiques, histoire sont en effet présentes dans ces objets que l'on ne considère parfois que comme de simples "accessoires du costume".

N'hésitez pas à faire part de vos réactions, critiques et suggestions (y compris en donnant à voir vos propres éventails !)

  

Où les peintres d'éventails prenaient-ils leurs sujets ?

On sait qu'à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle, les éventails étaient souvent peints de reproductions de la peinture noble de l'époque, à sujets bibliques ou mythologiques.

Ces reproductions étaient le plus souvent effectuées non d'après l'original, mais d'après des gravures, ce qui explique, celles-ci étant généralement inversées par rapport au tableau copié, que les éventails présentent souvent eux aussi cette disposition "en miroir". L'amateur d'éventails ou le chercheur n'en demeurent pas moins en difficulté quand il s'agit de retrouver le tableau pris pour base par le peintre d'éventail (ou souvent, en France, la "peintresse", membre de la confrérie de Saint Luc).

Certes, les tableaux en question étaient souvent des tableaux fort célèbres, qu'il est aisé de reconnaître. Toutefois, certains peintres en vogue en 1700 sont maintenant connus des seuls spécialistes, bien des oeuvres originales ont disparu au fil du temps, et même les estampes ou autres gravures ont pu se faire rares. En outre, l'adaptation de l'oeuvre imitée à la feuille de l'éventail (ou aux goûts des clients ?) amenait des modifications qui peuvent rendre l'identification plus difficile.


La difficile identification de l'éventail

Dans certains cas, l'éventail (non signé sauf rarissimes exceptions aux dates qui nous préoccupent ici) a cependant avec lui une tradition qui indique que la nature du sujet, et le peintre qui a servi de modèle. Cette tradition peut d'ailleurs être fausse , y compris dans des collections prestigieuses (ainsi l'éventail de la Reine Mary d'Angleterre, reproduit par le journal "The Gentlewomen" sous la fausse appellation de "Rinaldo in the gardens of Armida".)

L'éventail ci-dessus, quant à lui, était décrit dans une vente aux enchères comme "Eventail monture en nacre rehaussée de dorures, à décor d'une scène peinte représentant sur une face le triomphe de Galathée dans un entourage de fleurs et de réserves représentant des marins. L'autre face présente une allégorie dans une large réserve fleurie. XVIIIème siècle".

Ces quelques indications correspondent en effet à l'apparence, mais nous laissent sur notre faim.

Par chance, nous découvrîmes en fouinant chez un bouquiniste, dans l'excellente "revue du Louvre et des Musées de France" (n° 4-1985) un article d'Hélène Guicharnaud, intitulé "Les Quatre Eléments de Louis de Boullogne : études préparatoires"

Cet article nous permit de rattacher notre éventail à une planche de Louis Desplaces (1682-1739), gravée en 1718, et faisant partie de l'ensemble des "Quatre Eléments" d'après Louis de Boullogne (cf. infra). Il s'agit ici de L'Eau (triomphe d'Amphitrite et de Neptune).

 Louis de Boullogne le Jeune

Louis de Boullogne1, dit "le Jeune" (19/11/1654-21/11/1733), fait partie, avec son père , Louis "le Vieux" (Paris, 1609-1674), et son frère aîné "Bon", mais aussi avec leur soeur Madeleine, d'une illustre famille de peintres, qui connut un grand succès.

Louis dit le Père ou le Vieux participa à la décoration du Louvre et du palais de Versailles. Il fut l'un des quatorze fondateurs de l'Académie de peinture et donna à ses enfants une solide formation classique.

Avec son frère Bon, Louis "le Jeune" fit le voyage en Italie et s'inspira des leçons de Raphaël et des peintres bolonais. Il travailla à Versailles et aux Invalides, pour lesquels il peignit notamment deux des toiles de la série des "Quatre Eléments" : (Junon commande à Eole de déchaîner les vents contre la flotte d'Enée, 1699 ; Vénus engage Vulcain à faire des armes pour Enée, 1704). Nous supposons, sans pouvoir l'affirmer, que le tableau qui nous intéresse fut également réalisé pour les Invalides.

On notera aussi que la parenté, chez les Boullogne, était artistique autant que familiale.
 

 

Dijon, musée Magnin
Nous donnons ici un aperçu d'un "Triomphe d'Amphitrite" par Bon de Boullogne


Premier prix de Rome en 1673 avec le Passage du Rhin, il fut admis à l'Académie en 1681 sur présentation de son Auguste ordonne de fermer les portes du temple de Janus (musée d'Amiens). Nommé professeur en 1694, il en devint le directeur en 1722, et succéda à Coypel en 1725 comme Premier Peintre du Roi, qui l'avait anobli un an plus tôt. Avant de mourir en 1733, il sut découvrir dit-on le talent de Maurice Quentin de La Tour.

Le Louvre conserve de nombreuses études, concernant notamment la gravure ici évoquée, pour lesquels nous renvoyons le lecteur à l'article cité ci-dessus.

Des oeuvres de Louis de Boullogne sont conservées dans de nombreux musées , en particulier en France, mais surtout à Versailles.

   1 Voir Schnapper, Antoine & Guicharnaud, Hélène. LOUIS DE BOULLOGNE, 1654-1733. (Cahiers du Dessin Français. No. 2.) Paris/Boston (Galerie de Bayser/Ars Libri, Ltd.), 1986

 

Etude comparative

La mise en regard des deux oeuvres, gravure et éventail, permet assurément d'affirmer que la première a servi pour la réalisation du second. Toutefois, on remarque d'importants changements, d'une nature fréquemment rencontrée en la matière :

1) disparition de personnages : le nombre de tritons a diminué, les 3 putti ne sont plus qu'un, du moins en l'air, et surtout le personnage central lui-même, Neptune, a disparu !

2) modification du cadrage : afin de s'adapter à la forme de la feuille d'éventail, le peintre a mis de l'espace entre les personnages

3) déplacement des personnages : deux putti ont quitté leur élément aérien pour l'eau, la naïade située à gauche de la gravure est venue se placer à l'extrême droite

4) modifications d'attitudes, de vêtements ... : Amphitrite (ou Galathée ?), devenue veuve, se tourne non plus vers le dieu de la Mer, mais vers nous ; la naïade de gauche, un peu trop lascive sans doute, a profité de son déplacement de gauche à droite pour aller se rhabiller, l'un des tritons a perdu sa rame...

 Les mises en rapport des détails ci-dessous permettent d'approfondir les comparaisons.

   

                                 

 On voit bien que l'art du peintre d'éventail ne saurait être limité à de la copie banale, et que bien des tableaux présentés en salles des ventes ou en galerie comme "attribué à..., école de..., suiveur de..." ne font pas preuve de plus d'ingéniosité, d'invention et de talent.

    

Autres éléments de l'éventail

Cet éventail, que l'on peut dater du 2ème quart du XVIIIème siècle (même si la feuille peut sembler plus ancienne), et juger, par sa facture, de production française, n'est plus en partait état, en raison d'une certaine usure de la feuille au niveau des bouts, et d'un assombrissement vraisemblable des couleurs. Il demeure cependant bien complet, fort beau et intéressant.

On trouvera ci-dessous un détail de la monture de nacre ( que nous avons toujours du mal à bien photographier, n'étant pas professionnel !).

Et nous donnerons ici le revers, dont nous n'avons pu identifier formellement l'origine, mais qui présente des similitudes avec d'autres oeuvres de Louis de Boullogne le Jeune.

 

Conclusion

Nous espérons, par cette brève étude, avoir intéressé le collectionneur d'éventails, et, conformément à notre programme, montré à l'amateur plus généraliste que cet objet frivole se rattachait bien, même sur le mode mineur, à l'Art avec une majuscule, tout en constituant un exemple frappant de la dextérité et du savoir faire des artisans de jadis.

Bien évidemment, toutes contributions, réflexions, objections demeurent les bienvenues !

Post scripta

1) Reprenant, après la rédaction de cette monographie, le catalogue des ventes d'éventails les plus importantes de ces dernières décennies (Christies, SK, 11 juin 1991), nous nous apercevons que des éventails du même sujet, mais plus conformes à la gravure... en particulier par la présence de Neptune, ont été vendus par Christies d'abord le 4 mai 1978 (vente Baldwin), sous le n° 82 "the leaf painted with Neptune and Amphitrite, the moter-of-pearl sticks...ca 1760" et le 11 juin 1991 (très belle vente !) sous le n° 283, avec la description suivante : "A fan, the leaf painted with Neptune and Amphitrite, the mother of pearl sticks finely carved (...) French, circa 1840.". Si les possesseurs de cet (ces) éventail lisent ces lignes, qu'ils sachent que nous serions heureux de pouvoir ajouter les photos de ces éventails à cette page !  Nous savons aussi que d'autres éventails ont été réalisés à partir des autres gravures de Boullogne, représentant d'autres éléments (notamment l'Air). Si leurs heureux détenteurs nous permettaient d'enrichir cette étude par des photos, nous leur en serions reconnaissants (et nos visiteurs aussi, très certainement !).

Un autre éventail assez fidèlement réalisé à partir de l'estampe de Boullogne... mais avec Neptune, faisait partie de la collection de Félix Tal, éminent collectionneur néerlandais. Nous en donnons la photo qui avait été publiée par le magazine Antiek.

Antiek F. Tal Neptune

2) Serge Davoudian (Le Curieux, voir notre page de liens) nous fait savoir il y a quelques années qu'il proposait un éventail de même sujet, mais anglais et (donc ?) dont la feuille est traitée de manière plus simple, qui présente lui la particularité que non seulement Neptune a disparu, mais surtout qu'il est remplacé par un portrait.

Nous supposons, avec S. Davoudian, que ce portrait est celui de quelque haut personnage auquel était promis en mariage une nouvelle Amphytrite...

Mais -avec l'aimable autorisation du "Curieux"-, nous vous invitons à admirer par vous-même !

cliquez sur l'image !

3) En 2007, l'un de nos correspondants nous signale être possesseur d'une huile sur toile reprenant notre sujet, mais où les personnages  ont effectué d'autres migrations ! Il nous autorise à reproduire ici cette toile, ce que  nous faisons en l'en remerciant et en redonnant en regard et la gravure et notre éventail.

(collection privée)

copyraight Collection Privée

  l'Eaugravure

4) En 2008, nous nous apercevons que dans  "Fächer Spiegelbilder ihrer Zeit", ouvrage déjà ancien (Hirmer 2003) mais dont notre méconnaissance de l'allemand nous éloigne hélas, une  représentation d'un autre des "Quatre éléments" de Boullogne figure sans attribution.  Il s'agit de "L'Air"   (n° 79, p 130), montrant Eole libérant les Vents à la demande de Junon, et représenté d'après la gravure .  Si Marie-Louise et Günter Barisch  le souhaitent ou le permettent, c'est avec plaisir que nous en donnerions ici une reproduction.

5) En 2010, nous ajoutons une petite note pour signaler que le succès de ces "quatre éléments" s'est retrouvé au cours du XVIIIe sècle dans le fait que des copies ont pu être faites de ces divers tableaux, ou des interprétations. Une de ces interprétations peut être vue dans une toile de la manufacture de Jouy (voir, par exemple : http://www.artic.edu/aic/collections/artwork/61723) . Une copie ou autre version
du "Feu" (Huile sur toile, 152 x 172 cm, datée 1723) , par Louis de Boullogne  lui-même, a été vendue chez Sotheby's en juin 2003 pour quelque 153 000 €.

6) En 2015, notre réflexion à l'occasion de notre recherche universitaire nous amène à penser que là où l'on voit souvent Amphitrite ou Galatée seules, c'est en réalité la Naissance ou le Triomphe de Vénus qui sont représentées. D'ailleurs on parle parfois de "Vénus Marine"  ou même de "Vénus Amphitrite", et les racines grecques montrent bien que c'est la même chose : que l'on pense aux véhicules amphibies ou aux tritons...
Voir, par exemple http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/0/1128-Triomphe-de-Venus-Amphitrite-max

Du coup, nous proposons une nouvelle lecture de cet éventail, que nous résumerons en parodiant une histoire bien connue. - Neptune et Amphitrite sont dans une coque voguant sur les flots. Neptune tombe à l'eau. Qu'est-ce qu'il reste ?  - Vénus !!!

Si nous en croyons Fénelon, le char d'Amphitrite d'ailleurs est "
traîné par des chevaux marins, plus blancs que la neige" (cf. http://platea.pntic.mec.es/~cvera/aplicacion/telemaque/telemaque4.html).Voilà peut-être une façon de différencier la déesse de l'Amour et la "simple" et pure néréide, épouse de Neptune et mère de Triton.


Et, pour finir (?) nous ajoutons la photo d'un autre de nos éventails, montrant en même temps
les chevaux blancs, Neptune et Amphitrite, mais où celle-ci (enlevée de force mais qui consentira de son plein gré aux épousailles) semble avoir pris le contrôle des opérations : c'est elle qui tient les rènes ! Faut-il voir là le symbole de bien des mariages (il y a deux ou trois cents ans, bien sûr) ?

M et Mme Neptune
© Coll. CPHB
Rappel : toute reproduction est interdite sans autorisation préalable

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